Hommages à Bruno Le Floc'h

par Gérard Alle

© Bruno Le Floc'h / collection Gérard Alle
© Bruno Le Floc'h / collection Gérard Alle

Bruno ne répond plus.

 

Difficile de trouver les mots, comme on dit. Trop pauvres, les mots, presque dérisoires, ou alors trop beaux. Trop beaux, les mots, pour dire que la vie est parfois si moche. Bruno, sa ligne claire. Bruno, son rire franc. Son sourire de marin, aussi, avec un œil ailleurs. Sourire de celui qui sait que s’il existe un côté pile, il existe aussi un côté face, à un poil du bord du monde. Ne pas trop se pencher. Fais gaffe !

 

Bruno était entré sur le tard dans le petit monde de la bande dessinée. Apprivoiser la BD, pour ce fan de Conrad qui en lisait peu, ça voulait dire s’ancrer sur le pont de Pont-l’Abbé, avec un œil sur la rivière et la dérive des voiliers. Le succès est venu vite, comme un cadeau de la vie. Mais la tempête, lorsqu’elle souffle sur nos petits mondes, se fout pas mal des cœurs et des carcasses, des ponts et des navires, des sourires, des dessins, des mots. Elle emporte tout.

 

Nous, les survivants, nous restons à quai. Sonnés. Trempés. Muets. Idiots, à regarder la mer comme si elle pouvait nous donner un semblant de début de réponse à je ne sais quoi.

Gérard Alle, écrivain et journaliste

Pages de Bretagne n°31, décembre 2012

par Alain Ayroles

© Alain Ayroles / collection Armelle Le Minor
© Alain Ayroles / collection Armelle Le Minor

Alain Ayroles, scénariste-dessinateur

par Briac

© Briac / collection Brieg Haslé-Le Gall
© Briac / collection Brieg Haslé-Le Gall

Briac, dessinateur

vendredi 12 octobre 2012

par José Correa

© José Correa
© José Correa

José Correa, dessinateur, octobre 2017

d'après une photo de Brieg Haslé-Le Gall

réalisée dans l'atelier de BLF en février 2005

par Édith, des Mangebulles 65

© Bruno Le FLoc'h / Mangebulles 65
© Bruno Le FLoc'h / Mangebulles 65

Parler des BD de Bruno Le Floc'h...

 

C'est d'abord, parler de l'eau, l'eau toujours en mouvement. Celle qui bouge, celle qui coule, celle qui va et vient au gré des marées, celle qui suit son cours et paresse entre deux rives. C'est la mer bretonne, parsemée d'écueils, les vagues ourlées d'écume ; c'est le grand océan et ses tempêtes... Parfois, une mer plus chaude, plus calme, s'insinue entre les pages. En apparence simplement, car les fusils claquent, les rixes éclatent, les rires fusent...

 

C'est le voyage, le temps qui passe, les traversées et leurs périples. En bateau, à cheval, en train, en voiture.... le paysage file, les gens se cherchent, les gens se croisent, ils se côtoient, ils se séparent... Partir, fuir, parfois revenir pour retrouver un souvenir, un lieu, un ami... mais des personnages toujours sur le départ ; voyage de la mémoire...

 

C'est l'amitié, plus forte que les coups, plus forte que les gnons, plus forte que le temps. C'est l'amour, celui de la mer, celui de la promise, celui de la vie, celui que l'on reconnaîtra quand l'absence sera là.

 

Ce sont les couleurs, nettes, franches, sans fondu, ni nuance. Des gris, des bleus, tristes comme la guerre des tranchées, la mer agitée ; des roses, des chairs plus ou moins ambrées, peau des mains qui se serrent, des visages qui regardent, se regardent, scrutent, épient, se défient ; des jaunes, des rouges, des orangés, couleurs chaudes, violentes, claquantes, comme la nature écrasée par le soleil des îles, les pays du sud, les pays lointains...

 

C'est... C'est tout ça, et plein d'autres détails, qui surprennent, attirent, intriguent... À vous de les découvrir...

 

Édith pour l'association Mangebulles 65

texte présenté lors de la 14ème bourse BD d'Odos le 12 mai 2013

par Jean-Claude Fournier

Festival Quai des Bulles, Saint-Malo, vendredi 26 octobre 2012

vidéo © Brieg Haslé-Le Gall / www.auborddumonde.org

par Alain Goutal

© Alain Goutal
© Alain Goutal

Le temps s'est figé Bruno. Dans notre mémoire et dans nos coeurs. Comme un disque sans chaleur, suspendu au dessus d'une course devenue inutile...

 

Le temps va reprendre Bruno. Un jour, le soleil se relèvera. Les filles et les goélands s'envoleront à nouveau... Les rires aussi... Ton rire.

 

Passagers d'un monde éphémère, éternel pourtant, nous reprendrons le chemin. Sans toi. Et pourtant...

Alain Goutal, dessinateur et scénariste

samedi 3 novembre 2012

par Brieg Haslé-Le Gall

© Rita Scaglia / Dargaud
© Rita Scaglia / Dargaud

Le dessinateur Bruno Le Floc’h, l’auteur des petits chefs d’œuvre Au bord du monde, Trois éclats blancs ou la récente trilogie Chroniques Outremers, vient de nous quitter. Coup de tonnerre aux premières heures de ce samedi 6 octobre 2012 : Bruno Le Floc’h est mort. Inadmissible nouvelle, incompréhensible annonce, notre ami est décédé ce vendredi à Nantes…

 

Le petit monde du 9e art est littéralement sous le choc. La profession est unanime pour saluer les immenses qualités de ce gentleman breton. Ainsi, le dessinateur Denis Bajram déclare : « J'apprends le décès de Bruno Le Floc'h. C'était une de ces figures éminemment sympathiques que j'ai eu plaisir à croiser de festivals en festivals. » Pour sa part, le créateur rennais Marc Lizano accuse le coup, et précise : « J'ai été infiniment heureux de le rencontrer et il me semblait être une belle personne. » Fabien Lacaf, homme de BD et de cinéma, salue « un garçon chaleureux, adorable et talentueux », tandis qu’Alain et Dominique Robet, amis de l’auteur, se souviennent « d’un homme aimable dans tous les sens du terme ». De son côté, François Bourgeon, le créateur des Passagers du vent, honore Bruno Le Floc’h en nous précisant qu’il avait « l’élégance d’un Hugo Pratt, certes plus doué en couleurs, car c’était un très grand coloriste ».

 

Né en 1957, Bruno Le Floc’h est venu relativement tard à la bande dessinée bien que le genre le passionnait depuis toujours. Nourri au magazine Pilote, fan de Gotlib et Mandryka, il va d’abord se faire un nom dans le domaine du dessin animé. Après des études aux Arts Déco de Paris, Le Floc’h met son talent au service de nombreuses séries télévisuelles à destination de la jeunesse. Storyboarder hors-pair, il participe à la création de fameux succès plébiscités par le jeune public, tels Les Tortues Ninjas ou la version animée de Spirou et Fantasio. Remarqué par le réalisateur Jean-François Laguionie, il endosse le rôle de directeur artistique du long-métrage d’animation L’Île de Blackmor qui connaît un magnifique succès critique et public en 2004.

 

Peu de temps avant, Bruno Le Floc’h rejoint le monde du 9e art en signant, en solo, le recueil de nouvelles illustrées Au bord du monde où il rend un très bel hommage à la Bretagne de son enfance et aux côtes de son cher Pays Bigouden... Dès l’année suivante, toujours aux éditions Delcourt, il signe le somptueux one-shot Trois éclats blancs qui lui vaut le prestigieux Prix René-Goscinny. Fin connaisseur des courants picturaux des XIXe et XXe siècles, Le Floc’h nourrit ses propres travaux de références artistiques de premier plan, et n’a de cesse, tout au long de son œuvre bédessinée, de truffer ses récits d’allusions, graphiques ou littéraires, à ses maîtres en création : Mathurin Méheut, Piet Mondrian, Jean-Julien Lemordant, Lucien Simon, Hans Bellmer, Francis Bacon, Norman Mac Laren, Roland Topor, Hayao Miyazaki, Joseph Conrad, Gabriel Marcia Marquez, Georges Perec, J.M.G. Le Clézio, Pascal Rabaté, Francisco Coloane, Jorn Riel, Pierre Soulages ou Edmond Baudoin !

 

L’auteur nous confiait, au cours de notre première rencontre remontant à l’année 2004 : « Pour moi, la bande dessinée, c’est LA liberté ! ». Et Bruno Le Floc’h, fort du succès de Trois éclats blancs, n’aura alors de cesse de nous proposer de petits bijoux graphiques et narratifs : Une Après-midi d’été, Paysage au chien rouge, Saint-Germain, plus rouler vers l’Ouest !, et sa trilogie Chroniques Outremers, parue aux éditions Dargaud, dont il venait de faire paraître le troisième chapitre.

 

Au revoir cher ami, et merci !

Brieg Haslé-Le Gall, journaliste BD

article paru sur auracan.com le samedi 6 octobre 2012

par Hoz

Dimanche 13 mars 2016, dans le cadre du 5e Festival Penn ar BD de Quimper (29) où l'association Les Amis de Bruno Le Floc'h disposait d'un grand stand, le graffeur Hoz a réalisé en direct une fresque (2m40 x 2m40) en hommage à Bruno Le Floc'h (visuel tiré de Paysage au chien rouge).

par Kris

© Le Télégramme
© Le Télégramme

Mon Bruno,

C’est quoi ce mystère qui fait qu’on aime les gens à la première rencontre, à la première pogne, au premier sourire en coin mangé de barbe à Père Noël ?

C’est quoi ce phénomène étrange d’être séduit à la première image, au premier humble coup de crayon, à la première atmosphère entrevue ?

Où ça se trouve la classe et l’élégance dans des pays qu’on imagine frileux et cagneux, comment on la déniche la beauté au milieu des cailloux et au bout des quais bétonnés, ça s’écrit comment l’Humanité ?

Comment on peut être d’ici et parler à tout l’ailleurs ?

Comment qu’on grandit sans jamais faire de l’ombre ?

Et comment qu’on va raconter tout ça désormais, à ceux qui vont nous le demander et qui ne t’auront pas connu ?

On t’a pas vu, t’es parti où, putain ? T’es parti où ?

S’il fallait ça pour dire que tu comptais tant pour nous, ben bravo l’Ankou, t’es qu’un sale petit et piètre comptable.

En plus, ça se compte même pas, on est juste un bout de moins qui repousse dès qu’on ouvre un bouquin, même si ça fait mal je vais te dire, même si ça fait un mal de chien Mathurin : on est juste un bout de moins qui oublie qu’il est plus là dès qu’on repense à toi.

Je sais pas où t’es parti, mais je t’embrasse mon Bruno, je t’embrasse plein la barbe, vieux matelot.

Kris, scénariste

samedi 6 octobre 2012

par Frédéric Morvan-Houart

© Frédéric Morvan-Houart
© Frédéric Morvan-Houart

Frédéric Morvan-Houart, professeur

à Sainte-Thérèse de Quimper, mardi 9 octobre 2012

par Nono

© Nono
© Nono

Nono, dessinateur de presse et illustrateur

par Michel Plessix

C’est un homme d’une qualité rare qui disparaît. Il faut croire que le monde actuel n’est plus capable d’accueillir des gentilshommes de sa trempe… 

Michel Plessix, dessinateur et scénariste

déclaration à BDzoom.com le 7 octobre 2012

par Tarek

© Delcourt
© Delcourt

C’est avec une immense tristesse que j’apprends la disparition de cet auteur de talent. J’ai appris à le connaître lors de nos nombreuses discussions en salon. Cette année à Quimper, j’ai longuement devisé avec lui de l’art, de la peinture, de la Bretagne qu’il aimait profondément, de la Tunisie, une autre terre qu’il affectionnait beaucoup, de ses années d’animateur 2D et de la vie en général…

 

Ses propos mesurés et humanistes me reviennent à l’esprit en écrivant ce petit texte en sa mémoire… Il aimait son métier, transmettre des émotions et du plaisir à travers ses dessins. Un autre grand monsieur de la bande dessinée nous quitte trop tôt au moment où la grande tempête souffle sur notre confrérie bien malade du fait d’une bande de pirates qui a choisi de mener cette forme de littérature atypique au fond du gouffre. Bruno aimait la BD et il manquera sûrement et sincèrement à toutes celles et ceux qui partagent cette même passion. Bon vent l’ami !

Tarek, scénariste

publié sur son blog le 7 octobre 2012

par Caroline Troin

© Manuel F. Picaud / Auracan.com
© Manuel F. Picaud / Auracan.com

Bruno

 

On s’apprête à quitter la maison. On est un peu à la bourre, comme toujours. Gérard se rase, je voudrais mettre un peu de parfum pour l’occasion, j’ai frappé à la porte de la salle de bains, il a grogné. Un vrai ours, qu’est-ce qui lui prend ? Il m’attend en bas, j’attrape un sac, non pas celui-là, pas aujourd’hui. J’hésite un peu, pour toi. Cavalcade dans l’escalier, je manque me rompre le cou. Pas le jour, pourtant !

 

Toi, tu restes là, souriant sur la table de la cuisine. Ta tête toute ébouriffée, on dirait que tu viens de te réveiller. Comme toujours. Comme tous les autres jours. Tranquille, sur la photo du journal. En noir et blanc. Mais t’es aussi en couleurs, dans l’autre article de Ouest-France. Celui qui annonce ta disparition. Bruno, on part à ton enterrement. Et toi, tu continues de sourire sur la photo. Salaud !

 

Nous, on a pris le grand parapluie. Toi, tu seras au chaud dans ta caisse en bois. Pour un bon moment peut-être. Moi, je frissonnerai sous la pluie. On a mis le pilote automatique, cap sur le pays bigouden. Le pays s’est travesti moche ! Brume épaisse, crachin petit joueur, pas tout à fait de saison. Tu aurais pu faire mieux ! Toi qui avait tant le sens des lumières et des paysages, toi le coloriste fou. Bruno, tu nous aurais fait un ciel orange, un pré violet, des vaches Milka mauves repeintes en rose. Un chien rouge au bord de la route. Mais visiblement tu ne contrôles plus la situation. La palette de couleurs, c’est plus toi.

 

Pourtant, au mois de janvier dernier, tu m’avais écrit : « Hein t’as vu ? il fait un temps sublime sur notre Cornouaille. Froid, clair. L’air est rose avec des panaches de vapeur accrochés au bouches des passants… » L’air rose, les vaches roses. Seule la vie ne serait plus rose, Bruno ? De-là à lâcher la rampe, faut pas exagérer. C’est la boulangère qui va être triste. Elle t’aimait bien, toujours un p’tit mot pour elle.

 

Je ne sais pas ce qui m’a pris, mais je t’avais fait un message débordant d’enthousiasme en ce début d’année. 2012. Tu m’avais répondu dans la journée : « Ah ! je me suis régalé à la lecture de ton mail…. tendre, enthousiaste et débordant d’optimisme communicatif…. un louzou mad contre les jours gris, quôa ! Moi, je m’en suis barbouillé toute la tronche, depuis les sourcils jusqu’à la pointe de la barbe et j’avais l’air d’un con-"ravi"-droche en allant chercher mon pain… La boulangère, qui dit bonjoureuuuu, m’a regardé d’un air bizarre comme si elle fixait quelqu’un à côté de moi… » Épinglée la boulangère. Gris les jours. Mais toi, barbouillé d’optimisme, tu ressemblais à quoi, dans la boulangerie ? Tu exagères, Bruno. Je ne te crois pas.

 

Parce qu’au grand cirque de la vie, sous le chapiteau céleste, celui qui a tellement tourné qu’il est perçé de part en part, que les jours de pluie il faut des bassines autour de la piste ronde, dans ce grand cirque tu n’aurais pas choisi le numéro de clown. Même pas le Pierrot blanc, sourcil à l’envers. Non, tu étais de la famille funambule, et désespérément amoureux de la petite écuyère. Funambule triste, comme le clown triste. Un bon ami, le clown triste.

 

Funambule gai parfois, capable de danser sur le fil un improbable paso doble, seul là-haut. Seul avec les étoiles que l’on aperçoit par les cicatrices béantes du grand chapiteau. Une java bleue, une samba rouge sang, une gigue effroyable. Tu improvises, lampions folie dans la nuit circassienne. Une fois redescendu à terre, il faudra déplacer les bassines.

 

Funambule attentionné, et pas seulement pour la petite écuyère. Faut dire que les écuyères sont souvent fiancées aux dompteurs de tigres. Faut pas s’approcher de trop près !

 

Tes élèves de l’école de dessin sont venus en bande depuis Nantes. Ils t’avaient déjà dit adieu au moment d’entamer leur troisième année. Tu n’enseignais qu’aux secondes. Ils avaient tellement aimé tes cours qu’ils avaient rencontré le directeur pour exiger de t’avoir quelques heures encore. On n’est pas sérieux en école de dessin, c’est bien connu. On s’imagine qu’on va changer un emploi du temps dûment établi ! Disposer à sa guise des enseignants. Vous plaisantez !

 

Le directeur était resté inflexible, à deux ans de la retraite, avec sa cravate qui l’étrangle un peu. Les oisillons, se sentant pousser des ailes, remontés à bloc, avaient poussé jusqu’à une pétition. Parce que tu étais juste de ces profs qui nouent une relation particulière avec chacun de leurs élèves. Ils ne se sentaient pas tes élèves, justement. Juste de jeunes adultes que tu conseillais, trésors de patience, attentions, un à un. Un plus un. Un et une. En dehors des sentiers battus, dans les marges blanches. En plus de tes horaires normaux, revenant le lendemain pour viser un travail, donnant rendez-vous en dehors de l’école. Offrant du temps, ce temps que tu ne t’offrais plus guère. Le plus précieux.

 

Il me raconte tout ça, il s’appelle Joris, tignasse longue et blonde. Vingt ans. Il t’avait comme prof. Ils sont en formation tortue sur le parvis de l’église. Ils font le dos rond. Vingt ans pour la plupart. Deux filles seulement, rimmel en berne. Brouillasse. Ils tirent sur de pauvres cigarettes roulées, sans aucun panache. Ils ignoraient ce que dernier adieu voulait dire. Ils regardent le corbillard disparaître au coin de la place. Parti sans eux, restés scotchés sous la fine bruine. Ils n’en reviennent pas. Si c’est une leçon de vie, c’est une sale leçon, et pas sûr qu’ils la retiennent. Tous un peu gris, grise mine, mine de crayon gris, eux qui rêvent de pop-art, sanglés dans leurs blousons, cheveux en bataille.

 

Vingt ans, et un chagrin trop lourd pour eux, un chagrin qui ne tenait pas dans cette église, pourtant si pansue et arrogante. Avec son clocher sur le côté… Bonnets rouges ? Le bon temps où l’on rasait les clochers qui semaient le tocsin de la révolte ? Non, ça c’est à Lambour. À Notre-Dame des Carmes, c’est juste un clocher de travers, et tout va de travers depuis, Bruno. C’est du gothique et tu préférais l’art roman. C’est comme ça, Bruno, tu ne choisis plus. Et nous on fait le dos rond, comme tes élèves, chats échaudés.

 

Bruno, tu as lâché les pinceaux. T’avais pas le droit, bandit ! Pour les minots, pour tes planches si belles, pour tes story-boards qui blanchissaient tes nuits, pour tes nuits blanches justement, pour tes fils et pour la boulangère que tu faisais rire, toujours un p’tit mot ! Le pain tout chaud, Bruno !

 

Pour regarder encore couler la rivière derrière les travées à petits carreaux, le vol d’une bernache, un crave à bec rouge dansant sur la vasière. Penser à le croquer ce crave. Y renoncer. Un envol dans le ciel d’hiver. Froid, clair, rose.

 

Pour ta femme. Et pour l’écuyère debout sur son alezan.

Pour ta femme-écuyère.

Armelle. Au creux du chagrin. Une indicible colère.

Debout !

 

Pour dessiner des funambules, pour nous raconter tes voyages échevelés dans les Balkans, pour dire ton ami Dragan, Dragan et les folles nuits balkaniques justement, quand Tito se frisait encore la moustache, quand les gitans dansaient au bout des nuits bosniaques, tes amis serbes et croates juchés sur les tables, et la Slibowtza qui ne tarit jamais. Termajis !

 

Et pour tous ceux que tu t’étais inventé, pour tes années 70, pour les poilus de la grande faucheuse, pour les nuits de St-Germain, pour un riff de jazz, pour une fille à qui on ne dira jamais, pour un fanal de phare qui tremblote dans la nuit... Outremers.

 

Pour ceux qui emplissent cette église trop froide, et qui me relient à toi, ceux qui nous entourent. Flo et Sylvie, copines penn-sardin pour confidences de fins de nuits. Loïc, Mélaine et Farid, et leurs musiques pour endiabler nos jours. Gérard pour qui tu dessinais Léo Tanguy, ce héros à la tendre dégaine, Gérard ours tendre, dompteur de papys féroces, et Léo tendre héros de papier, vos projets croisés. Abandonnés. Tous au creux du chagrin. Tous au bord du monde.

Plus jamais, Bruno ! Lâcheur !

 

Bruno, tu t’es assis au bout de la cale, au bout de la passe de la rivière de Pont-l’Abbé. Le pavé est humide. Tu t’en fiches bien. Personne ne peut te voir. Tu es mort. Mort, crayon en main, sourire en coin. Je suis sûre que tu nous observes encore un peu ? Pour mieux nous croquer ? T’as pas honte !

Caroline Troin

article paru sur Dilhad Sul le jeudi 11 octobre 2012

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de Bruno Le Floc'h

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